[Review] Les Producteurs au théâtre de Paris, une farce bien ficelée

★★★☆

Words Lénaëlle FONTAINE / Photo : Alessandro Pinna

Après 2 saisons triomphales de 2021 à 2023 et 2 molières plus tard, Les Producteurs sont de retour au théâtre de Paris pour une saison qui s’annonce tout aussi déjantée et comique. Une farce que l’on doit à Mel Brooks qui est ici mise en scène par Alexis Michalik. 

Un producteur de Broadway au bord de la faillite imagine une arnaque à l’assurance en montant « Des Fleurs pour Hitler », la pire comédie musicale, sur le pire scénario, dirigée par le pire metteur en scène avec le pire casting qu’on puisse imaginer. Les choses se compliquent lorsque le flop espéré devient un succès inopiné…

Le politiquement correct est résolument mis au placard pour cette nouvelle adaptation française du classique de Mel Brooks. Évidemment, les blagues sur les nazis sont au cœur de l’histoire, il n’en fallait pas en attendre moins d’un spectacle tournant autour de la création d’un show à la gloire d’Hitler. Ça grince, un malaise certain s’installe dans les premières minutes, certaines répliques frôlent la limite du raisonnable en flirtant avec l’homophobie et le sexisme – les personnages efféminés à outrance et le cliché de la blonde prête à tout pour réussir peuvent être difficile à avaler – et pourtant, à force de tirer sur la corde et de grossir le trait, la gêne laisse presque place à l’ironie. 

Alors oui, on peut rire de tout, tant que l’on rit avec et non de ! C’est bien ce que réussit à faire le spectacle et son metteur en scène Alexis Michalik pour qui aucune proposition ne semble assez kitsch : costume affublé de bretzel ou de saucisses de strasbourg géantes, chorégraphie à grand renfort de déambulateurs, brassard nazi à paillettes… Un cocktail qu’on adore détester tant il fait l’unanimité et trouve sa place dans cet univers détonnant. Mais il est aussi facile de comprendre que certains spectateurs ne seront pas sensibles à ce second degré et qu’ils n’arriveront pas à passer le pas, la faute à un texte qui peut avoir mal vieilli et à un humour d’un autre temps. Dommage ! 

A coup de grands décors inspirés des années 50, de numéros de claquettes surprenants et en y plaçant quelques références savamment dosées, Les Producteurs est un spectacle burlesque, qui tend parfois vers l’ubuesque mais qui ne dénote jamais. D’un bout à l’autre, nous sommes portés par l’énergie qui habite la scène et les situations qui s’enchaînent, plus tordues les unes que les autres. Seul bémol, un show de deux heures, sans entracte, qui peut souffrir sur la fin de quelques scènes plus lentes qui nous font perdre de la vitesse en bout de course. 

Pour le rôle de Max Bialystock, producteur presque véreux, c’est sur Florent Peyre qu’il faut cette fois compter. Pour un premier rôle, l’humoriste s’en sort admirablement, appuyant avec délice sur le côté comique et caricatural du personnage. On le sent à l’aise et bien installé en ce Max qui est finalement très convaincant. Un rôle survolté qui lui colle à la peau et à travers lequel sa personnalité enflammée à toute la place de s’exprimer. Nous sommes bluffés !

Face à lui, Alexandre Faitrouni incarne un fantastique Léo Bloom. Un personnage attachant pour qui on se prend vite d’affection avec ses crises d’hystérie déjantées et cette naïveté qui lui tient au corps. On l’avait connu trublion en Timon dans Le Roi Lion au théâtre Mogador et amoureux dans Smile, ici il interprète un rêveur névrosé qui n’a envie que d’évasion. Finalement, le public se retrouve facilement dans ce personnage facilement dépassé par la situation mais qui se laisse allègrement porter sans trop se poser de question. Bravo à Alexandre Faitrouni pour cette interprétation complète – du haut du chapeau de producteur au bout des chaussures cirées – du comptable le plus attachant du théâtre !

Si l’on peut certainement regretter le manque de personnage féminin – reléguées au rang de jeune actrice simplette, grand-mère lubrique ou simple danseuse de cabaret – les interprètes, elles, parviennent à briller en dégageant une énergie contagieuse tout au long du spectacle. Particulièrement Roxane Le Texier, qui tire son épingle du jeu en interprétant Ulla Inga Hansen Bensen Yonsen Tallen-Hallen Svaden-Svanson. Un rôle exigeant qui demande une certaine dextérité, aussi bien du corps que de la parole, avec cet accent suédois qui prend toute la place. Une caricature qui ne veut pourtant pas tomber dans la misogynie facile en mettant en avant une femme qui sait user de ses atouts pour arriver à ses fins. Une femme forte qui porte haut Roxane avec cette voix douce et envoutante. Bravo ! 

Autour d’eux, une joyeuse troupe parmi laquelle Andy Cocq et Julien Mior, l’excellent duo qui donne leurs traits à Carmen Ghia et Roger De Bris. Délicieusement outranciers et dramatiques, les deux personnages viennent apporter cet énième grain de folie au spectacle et on adore retrouver la personnalité pétillante d’Andy Cocq sur scène. Ce n’est jamais « too much » quand c’est bien fait ! Du côté des Allemands, dont le spectacle aime se moquer gentiment, c’est Régis Vallée qui campe Franz Liebkind, l’auteur de la fameuse comédie musicale « Des fleurs pour Hitler ». Accent allemand à couper au couteau, casque militaire, tenue de bavarois… Tous les clichés y sont pour un personnage caricaturé au maximum, mais qui reste, pour le public, un personnage hilarant qu’on adore tourner en ridicule. 

Un casting 5 étoiles donc, qui assure avec brio le spectacle. Pourtant, malgré la qualité des tableaux et l’énergie qui s’en dégagent, difficile pour nous de se rappeler d’une chanson à la sortie du théâtre. On retient davantage les costumes signés Marion Rebmann, les décors très immersifs de Juliette Azzopardi et les chorégraphies de Susan Stroman. Le flamboyant « Reste Gay » et le charmant « Je veux devenir un producteur » font partie de nos favoris. Et quand le public se dit « ils ne pourront pas aller plus loin », nous assistons au très irrévérencieux « Des fleurs pour Hitler », qui n’en est pas moins une prouesse de mise en scène ! 

En définitive, Les Producteurs n’est peut-être pas pour tous les publics, mais une fois affranchi de notre conscience, on se laisse facilement cueillir et embarqué dans cette folle aventure ! Un show avec un grand S, qui n’a pas à faiblir de ses compagnons londoniens et new-yorkais ! Porté par une troupe talentueuse, le spectacle est une réussite !

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