★★★★
Un appartement parisien, un diner mondain au public éclectique, un absent qui occupe toutes les pensées. Voila le point de départ de La Corde présenté au studio Marigny et orchestré par Guy-Pierre Couleau. Sauf que l’histoire n’est pas si simple : dès les premières minutes, nous voila témoins et complices d’un meurtre commis de sang froid par deux amis. A partir de là, le jeu du chat et de la souris est lancé.
Adapté de la pièce britannique Rope de Patrick Hamilton, La Corde nous propose une plongée dans le monde de la bourgeoisie arrogante des beaux quartiers parisiens. Derrière le drame, omniprésent sur scène, c’est une critique de la société que l’on nous propose et une mise en lumière très sombre du mépris de classe. Un trait un peu forcé, qui joue sur le fil et qui, heureusement, parvient à ne pas tomber dans la carricature.
Dans cette pièce en huit-clos, les dialogues occupent une place de choix. Parfaitement ciselés et particulièrement percutants, l’écriture joue sur les doubles sens et le rythme donné par les comédiens nous donne l’impression d’un affrontement verbal à couteaux tirés où chaque mots pourrait trahir le secret. Une vivacité qui nous tient en haleine durant plus d’une heure. A l’inverse, les silences en disent aussi longs et servent à instiller dès l’acte 1 ce malaise qui plane sur nos personnages. C’est là que le non-verbal passe au premier plan. Un subtil jeu où excelle les comédiens.
Audran Cattin nous sert ici une grande interprétation. On l’avait découvert touchant dans Les Bracelets Rouges, inspirant dans Le Cercle des Poètes Disparus au théâtre Antoine, on le retrouve ici machiavélique et habité par une obsession malsaine avec Louis. Un personnage qui fascine autant qu’il inspire la crainte tant sa passion est débordante. On apprécie cette droiture et l’autorité naturelle qu’impose le jeu d’Audran et on savoure d’autant plus voir son image se craqueler quand la vérité éclate. Audran Cattin a déjà tout d’un grand comédien de théâtre !
Comme un miroir, Thomas Ribière incarne avec justesse Gabriel, le complice presque malgré lui. A la coupe de Louis, le rapport de force entre les deux jeunes hommes est très intéressant. Si l’un s’enivre de ce drame, l’autre perd pied et s’y noierait presque. C’est cette peur panique qui nous attrape et nous fait tenir, avec compassion pour Gabriel. Bravo à Thomas pour ce jeu tout en ambivalence qui porte haut la pièce !
Autour d’eux, une petite troupe où chacun trouve sa place : en victime idéale, Martin Karmann est convaincant alors qu’en Francis, le voisin serrurier, il amène ce côté gauche attachant auquel le public peut s’identifier. En fiancée de la victime, Lucie Boujenah est particulièrement vibrante. La mère de Louis interprété avec brio par Myriam Boyer, est attendrissante. Enfin, l’invité surprise et instigateur malgré-lui de ce défi, joué par Grégori Derangère, vient ajouter le piquant à l’enquête et rajouter du danger. Autour du coffre maudit, les 6 personnages jouent avec le feu, dans une ambiance mordorée où les jeux de lumières et les rideaux translucides transforment le logement parisien en véritable piège.
Finalement, ce qui nous manquerait presque dans cette pièce, c’est le côté mystère qui entoure habituellement ce genre d’histoire. Un whodunit inversé qui pourrait nous frustrer, si il n’y avait pas cette menace qui poursuit nos deux protagonistes. En bout de course, on frissonne presque de voir le secret être percé à jour et la fin, volontairement laissé ouverte, nous laisse imaginer le meilleur… comme le pire.
La Corde actuellement au studio Marigny.
Avec Myriam Boyer, Lucie Boujenah, Audran Cattin, Grégori Derangère, Martin Karmann et Thomas Ribière.