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Words by Lénaëlle FONTAINE / Photo Fabrice Robin
Directement venue d’outre-Atlantique où elle fait encore les beaux jours de Broadway, La Petite Boutique des Horreurs débarque au théâtre de la Porte Saint Martin à Paris et en français avec une mise en scène signée Christian Hecq et Valérie Lesort. Sur le papier, le spectacle a tout d’une histoire classique : Malmené par le fleuriste qui l’emploie, Seymour cultive en secret une plante exotique et est éperdument amoureux de sa collègue, Audrey. Mais il tombe sur un os lorsque la plante, Audrey II, se révèle carnivore et prête à tout pour un peu de sang humain.
Le début d’une comédie rocambolesque qui ose surprendre avec audace le public. En deux heures, on rit de bon cœur, on grimace d’effroi et on adore l’humour noir parfaitement dosé. Car c’est là que réside le point fort de cette comédie musicale : sa capacité à ne pas se prendre au sérieux. Plus l’histoire déraille et plonge dans l’horreur, plus l’humour se veut léché et déroutant.
A mi-chemin entre Charlie et la Chocolaterie, Frankenstein et Lazy Town, les décors et costumes hauts en couleur contrastent avec l’absurdité de la situation et le côté gore-horrifique de l’histoire. L’univers des années 60s et de l’époque des yéyés se veut vibrant au cœur de ce “guetto” et les coiffures façon choucroutes laquées s’accordent avec la volonté de rendre camp ce classique de Broadway. Côté musique, c’est signé Alan Menken pour la version originale et Alain Marcel et Arthur Lavandier pour la version française. Si Alan Menken est un des grands compositeurs de Disney, ses inspirations se retrouvent aussi dans La Petite Boutique des Horreurs notamment avec “J’ai faim” qui pourrait rejoindre la bande originale d’Aladdin ou “Au cœur du vert” celle de La Petite Sirène.
En maitresse de cérémonie, Audrey II est imposante et complètement dingue. Mignonne en plante à rempoter, elle en devient effrayante dans sa forme finale, haute de plusieurs mètres, lianes articulées incluses. Un réalisme et une gestuelle presque humaine que l’on doit au travail de marionnettiste de Sami Adjali, qui se glisse avec brio dans les entrailles de la bête, à la réalisation de Carole Allemand et à Daniel Njo Lobé qui lui prête cette voix tonitruante qui nous donne des frissons quand elle réclame avec insistance de la nourriture.
Tout au long de la pièce, les comédiens passent du jeu au chant avec une facilité surprenante. A tour de rôle, on nous sert un tango sadique signé Orin Scrivello, un trio looké années 60 qui donne le la et une plante carnivore à la voix si envoutante qu’elle aurait de quoi faire pâlir les plus grands crooners. Le tout est relevé par un live-band à l’énergie débordante qui donne volontiers du sien et fait aussi les beaux jours du public.
Et puis il y a les voix des protagonistes, Seymour et Audrey, interprétés respectivement par Guillaume Andrieux et Judith Fa. A coup de grandes envolées lyriques, les deux chanteurs d’opéra marquent de leur empreinte le spectacle et nous en mettent plein la vue et les oreilles. La reprise en français de Suddenly, Seymour est touchante de romantisme et cette teinte d’espoir est la bienvenue après la noirceur de la scène précédente. On aime particulièrement le côté enfantin de ces deux jeunes personnages et la sincérité innocente qui s’en dégage. Un Seymour gauche et maladroit, une Audrey attachante et défaitiste sur son avenir : le dénouement de leur histoire n’en est alors que plus tragique.
Presque cartoonesque, le personnage d’Orin Scrivello n’en est pas moins terrifiant. Les curseurs sont poussés au maximum pour ce personnage vicieux, sordide, imbu de lui même et cruel qui est vite tourné en ridicule. Si il tire quelques rires francs du public quand il arrive sur sa moto de poche et avec sa gestuelle à la Elvis, on ne se délecte pas moins pour autant de sa mort accidentelle quelques scènes plus loin, tant il semble le mériter. Un immense bravo à Arnaud Denissel pour son interprétation, pour le moins expansive et à la limite du clown, du dentiste le plus détestable du monde du spectacle.
Dans le rôle de M. Mushnik, David Alexis est convainquant. Habitué aux rôles extravagants, comme celui de M Thénardier ou encore du frère du roi dans Molière, ici il nous fait penser à un comte Olaf des Orphelins Baudelaire ou encore à un Fagin d’Oliver! dans son pantalon rappé trop grand et cette perruque hirsute. C’est toujours un plaisir de découvrir une nouvelle facette de ce grand comédien sur scène.
Le trio Ronnette, Crystal et Chiffon est particulièrement délicieux. Interprétées par Anissa Brahmi, Sofia Mountassir et Laura Nanou, elles donnent de la voix dans un style soul, gospel et doo-woop et se présentent comme les narratrices de l’histoire, comme un étrange croisement des muses d’Hercules et de trois jeunes pestes. ça swingue quand elles sont sur scène et on aime particulièrement le fait qu’elles tiennent leurs positions et osent tenir tête au plus énervant des hommes sur scène. Une vision girls-girl dont on a bien besoin sur nos scènes françaises en ce moment !
En définitive, La Petite Boutique des Horreurs est un cocktail explosif et réussi qui nous plonge avec délice dans un univers horrifique. On rit, on frissonne, on en redemande et on applaudit la versatilité du casting et sa capacité à rendre loufoque les situations les plus sérieuses. Foncez !
Au Théatre de la Porte Saint Martin jusqu’au 23 novembre 2025.
Avec David Alexis, Guillaume Andrieux, Sami Adjali, Anissa Brahmi, Arnaud Denissel, Judith Fa, Sofia Mountassir, Laura Nanou, Daniel Njo Lobé