[Interview] Antoine Le Provost “Je voulais apporter beaucoup de douceur au personnage d’Evan”.

Image : Nathalie Robin

Du haut de ses 20 ans, Antoine Le Provost a déjà a son actif des crédits impressionants : Gypsy, Monte Cristo le Spectacle Musical, Follies… Aujourd’hui, c’est lui qui donnera vie à la version française d’Evan Hansen dans Cher Evan Hansen qui se jouera au théâtre de la Madeleine dès le 3 octobre. Rencontre avec ce véritable hyper-actif de la comédie musicale.

Les répétitions battent leur plein pour Cher Evan Hansen. Comment ça se passe et comment se porte la troupe ? 

Ça se passe super bien. On vient de faire le premier filage complet du spectacle, c’est très sportif, mais Olivier Solivérès nous a vraiment rassuré et était très content de nous et du fait que l’on a réussi à faire ça après seulement deux semaines de répétitions et quelques jours en juin. La semaine prochaine, on reçoit l’ensemble des décors, donc on pourra d’autant plus rentrer dans le vif du sujet, avec les musiciens aussi. Ça va être top !

Tout commence à prendre forme et à devenir concret. 

Ça devient vraiment réel et ce qui est bien, c’est que tout le monde est serein car tout le monde sait ce qu’il a à faire. Ce qui est très sympa avec Olivier, c’est qu’il a choisi des personnes dans les équipes artistiques qui savent faire. Nous, les acteurs, nous sommes dans un beau bateau et on n’a qu’à jouer et faire le spectacle. Ça reste quand même très intense comme spectacle ! 

Dear Evan Hansen est un mastodonte de la comédie musicale, surtout à Broadway. Qu’est-ce que cela fait de le jouer pour la première fois en France et en français ? 

Le passionné de comédie musicale qui est en moi est très heureux. Très heureux car c’est la première fois que le spectacle se joue dans une telle production. On a l’habitude à Paris de voir des spectacles sur les stages d’entertainment comme le Théâtre du Châtelet, mais pour la première fois, un spectacle de Broadway ouvre au Théâtre de la Madeleine. On pourrait se dire que c’est un peu risqué et pourtant, quand on regarde le fond de la comédie musicale, qui est quand même écrit par les auteurs de La La Land et The Greatest Showman, on se demande pourquoi ça n’est pas arrivé plus tôt. C’est moderne et ça touche tout le monde, le message est universel et il n’y a pas de nécessité à ce qu’il soit joué dans un lieu en particulier. Ça a été créé aux États-Unis, mais l’histoire peut se passer partout et pourquoi pas à Paris ! 

Vous travaillez sous la direction d’Olivier Solivérès, qui a aussi dirigé Le Cercle des Poètes Disparus. Quelle liberté vous a-t-il laissé vis-à-vis de vos personnages ? 

Quand on produit un spectacle en dehors de Broadway, il y a toujours des discussions avec les créateurs et producteurs. Mais ce qui est génial, c’est qu’Olivier a réussi à avoir carte blanche sur la mise en scène. C’est fou ! Cher Evan Hansen sera donc une création française ; il n’y aura pas du tout la même mise en scène que dans les productions précédentes. Ici, ce sera une version sans entracte, de 2 h, très intense. 

Ensuite, travailler avec Olivier, je trouve ça très intéressant car il a un côté très théâtre, que peut aussi avoir Dear Evan Hansen. Quand on compare à d’autres comédies musicales, c’est très théâtrale et c’est très joué. Il y a beaucoup de dialogues, jusque dans les chansons qui sont aussi pleines de théâtre. Il y en a une que j’adore, on vient d’ailleurs de s’en rendre compte avec la version française, qui est un monologue mis en musique. En ce qui concerne Evan plus particulièrement, dès que la musique démarre, on entre dans sa tête et on comprend comment il se sent. 

Là où Olivier va nous apporter des libertés, c’est qu’il nous a fait prendre conscience que c’est notre version et que c’est mon Evan à moi. À l’audition, on essaie évidemment de reproduire ce qui s’est fait à Londres ou Broadway, avec le fameux Ben Platt que tout le monde connaît, mais au fur et à mesure, il nous dit « non, fait le proche de toi ». 

Il y a plusieurs types d’Evan selon les productions et la question « est-il autiste » revient souvent. Dans la version française, il ne l’est pas. Lors d’une ouverture à la presse, on avait chanté quelques chansons et ce qui est ressorti, c’était « il n’y a pas besoin de dire qui interprète qui ». Pourtant, on portait nos vêtements classiques, mais il n’y avait pas besoin de tricher. On n’a pas besoin d’aller trafiquer quelque chose, il faut être sincère. C’est aussi très rassurant de prendre cette liberté. Olivier nous fait confiance et surtout sur cette question. On garde évidemment le fond du personnage, c’est-à-dire un adolescent qui se sent vraiment seul, pas compris, pas entendu, pas vu et qui a besoin d’être aimé. À mon avis, plus de monde pourra être touché par Evan et pourra mieux s’identifier à lui. 

Evan est un personnage en deux temps avec un côté très dramatique et un autre très questionnant. Quelle facette du personnage préfères-tu travailler ? 

Ce que je me suis dit, directement, c’est que je voulais lui apporter beaucoup de douceur. Lorsque j’ai découvert la comédie musicale pour la première fois, je n’avais pas réussi à avoir beaucoup de compassion pour lui. Et c’est compliqué de jouer un personnage pour lequel on ne peut pas avoir de compassion, donc je me suis dit que j’allais essayer de le rendre attachant. Mais en même temps, j’ai envie qu’il y ait des petits moments de colère. Il n’est pas vraiment adapté, il ne sait pas comment interagir avec les autres et c’est dans ces pulsions un peu colériques que c’est intéressant. Le fait qu’il n’y ait pas d’entracte, ça nous permet vraiment de voir aussi l’évolution d’Evan.

Vocalement et émotionnellement, Evan est un énorme challenge. Comment t’y es-tu préparé, d’autant que tu étais assez réticent à l’idée d’auditionner pour le rôle d’Evan ? 

En effet, au départ, j’avais auditionné pour Connor mais la directrice m’a appelée pour me dire qu’ils voulaient aussi me voir en Evan. Au début, j’ai dit non, surtout parce que je pensais que c’était vocalement  trop haut et que je ne pensais pas avoir le temps de travailler cette partie, je pensais que j’allais me ridiculiser. Mais elle m’a alors dit : « Jusqu’à la veille de l’audition, tu peux nous dire non, mais on voudrait vraiment te voir dans les deux rôles. » Et finalement, ça l’a fait pour Evan, donc c’est plutôt drôle ! 

Cet été je n’ai pas fait le fier avec le texte, je n’en voyais pas la fin ! (rires). En fait, je me suis rendu compte qu’Evan ne sortait pas vraiment de scène. Sur 2 h de spectacle, il est là 1 h 55 et il chante presque toutes les chansons ! Pour autant, je ne me suis pas stressé, je me suis dit de faire confiance à l’apprentissage. Je me suis posé avec le texte, j’ai essayé de trouver les évolutions, les moments de respiration qui sont très importants et surtout, où placer ma gourde ! (rires). Un choix très stratégique car en répétition, je me suis rendue compte que je n’avais que quelques secondes pour sortir et boire à la fin du spectacle. C’est un beau challenge, en tout cas, de tenir l’énergie jusqu’au bout ! 

Émotionnellement et vocalement, il y a une vraie évolution. C’est très dense et faire ça tous les soirs, ça va être sportif, mais je pense aussi que l’énergie de chaque représentation sera différente et unique. Est-ce que toutes les notes y seront ? Si elles ne le sont pas, comment fait-on ?  Le spectacle vivant va prendre tout son sens. Nous sommes huit, il n’y a pas d’ensemble, donc on va tous être à fond avec nos énergies. J’adore les challenges donc ça me plaît vraiment !  

“J’aime vraiment les comédies musicales et je pense que le public français, même s’il ne le sait pas encore, adore ça. Donc pourquoi pas, même si c’est une idée comme ça, être metteur en scène spécialisé dans la comédie musicale. C’est mon but !”

Tu es encore très jeune mais tu es un véritable couteau suisse qui chante, danse et joue la comédie. La scène, est-ce que c’était une vocation ?

Une vocation, je ne sais pas, mais j’avais ce truc, enfant, où j’avais beaucoup de mal avec ce qui ne m’intéressait pas. À l’école, le soir, j’avais du mal à apprendre mes cours, par exemple. J’étais un peu hyperactif, mais dès que je faisais des activités artistiques, j’arrivais à me concentrer. Mes parents ont tout de suite vu que j’aimais ça et m’ont très vite emmené voir des spectacles de Guignol, puis ça s’est fait naturellement, grâce à mes parents. À 6 ans, j’ai vu Frankenstein Junior au Théâtre Déjazet et là je me suis dit “Ah là, y a un truc, on peut y retourner ?”. Au fur et à mesure, quand je voyais quelque chose que je ne savais pas faire, je disais à mes parents, “j’aimerais bien faire ça l’année prochaine”. J’ai aussi eu la chance de voir Billy Elliot à Londres et en voyant ce jeune gars, je me suis retrouvé en lui. 

C’est comme ça que ça a grandi et puis après je me suis demandé, “est-ce que je veux être sur scène ou derrière ?”. J’ai fait mon stage de 3ème au théâtre Mogador, j’y suis allé au culot, je ne connaissais personne, et c’est là que j’ai compris que si je pouvais goûter à l’expérience de la scène ce serait cool, mais que mon but était de devenir metteur en scène car je pense que c’est le métier qui relie le plus. J’aime vraiment les comédies musicales et je pense que le public français, même s’il ne le sait pas encore, adore ça. Donc pourquoi pas, même si c’est une idée comme ça, être metteur en scène spécialisé dans la comédie musicale. C’est mon but ! 

Tu es passé par la classe libre comédie musicale et tu as ensuite interprété Tulsa dans Gypsy, un rôle complet. C’était comment de déployer autant de talent dans un seul personnage ? 

Je suis très reconnaissant car tout est allé très vite, mine de rien. De jouer Tulsa dans Gypsy, à la Philharmonie ou à l’Opéra de Nancy, c’était énorme ! On m’a fait confiance sur un rôle comme celui-ci alors que je n’avais rien fait de spécial avant, c’était assez fou. De manière générale, je me sens chanceux de tout ça et ce sont vraiment des gens qui te tendent la main car à un moment ils ont cru en toi, donc il ne faut pas les décevoir. Gypsy, quel rêve avec 48 musiciens, Gareth Valentine qui nous dirigeait… J’ai tellement appris et ça m’a fait grandir ! Il y avait ce challenge aussi de réunir les trois disciplines, ça me tenait vraiment à cœur de faire ça un jour. 

Je suis content aussi de montrer autre chose avec Evan, et encore quelque chose de différent avec Monte Cristo, le Spectacle Musical et les autres spectacles qui arrivent… Je suis trop content de ne pas rester enfermé dans un truc, même si ça reste des rôles de « jeunes », mais je ne montre pas les mêmes facettes. 

Tu as plein de projets qui arrivent, j’imagine que ça bouillonne dans ta tête ! 

C’est une sacrée année ! Je joue Evan, dans Cher Evan Hansen, ensuite je rejoue quelques dates de Gypsy en fin d’année. Pendant Cher Evan Hansen, je serais en répétition pour Monte Cristo, le Spectacle Musical aux Folies Bergères et enfin, je serais sur Follies  à l’Opéra du Rhin. C’est une grosse pression car Follies sera intégralement en anglais et je joue la version jeune d’un des rôles principaux, interprété par un vétéran de Broadway. En plus, le spectacle est chorégraphié par Stephen Mear qui a travaillé sur Mary Poppins à Londres. Ça va être une grosse machine ! 

Tout au long du spectacle, Evan a besoin de quelqu’un qui lui tend la main pour le sortir de cette situation. Est-ce que tu as aussi eu une figure mentor dans ta carrière ? 

J’ai eu des idoles tout petit qui le sont encore maintenant dont Gene Kelly et Fred Astaire. C’est pour ça aussi que jouer Tulsa dans Gypsy était incroyable ! J’ai eu l’honneur d’être comparé à eux dans Le Monde et même si je ne suis pas du tout à leur niveau, c’était quand même assez dingue et très touchant. Ensuite, Vincent Heden, car je l’avais vu dans Frankenstein Junior et je le trouvais exceptionnel, et David Alexis aussi. Je me retrouvais en eux, ce sont deux beaux artistes et ce sont des figures qui m’ont donné envie de me lancer dans la comédie musicale !

L’histoire se construit aussi autour des relations d’Evan. Comment avez-vous trouvé cet équilibre avec la troupe ? 

C’est très plaisant car il y a un challenge pour tout le monde : le mien c’est d’être là tout le temps, le leur c’est de faire vivre l’évolution d’Evan et de taper dans le mile. Chaque personnage a vraiment un fond et ils sont tellement complets que, même si on ne se retrouve pas en Evan, on peut se retrouver dans un Jared ou dans une Alana. C’est ce que je trouve super intéressant. Il y a la relation mère-fils que Evan peut avoir avec sa mère. Il y a la relation entre les parents et comment gérer sa relation avec ses adolescents et les relations entre les adolescents eux-mêmes. Tous les puzzles sont possibles et ça donne des dialogues et des scènes très réalistes. Tous les 8, on s’entend tous très bien, chacun sait ce qu’il à faire et tout le monde est très heureux de défendre cette histoire sur scène. On est toujours très ému à chaque scène. Ils sont tous super ! 

Antoine’s run-through

La première comédie musicale dont tu es tombé amoureux ? 

Billy Elliot. 

Si tu pouvais interpréter un autre personnage de Cher Evan Hansen, qui serait-il et pourquoi ? 

Alana. Ou Connor. Mais Alana est drôle et touchante et elle a également une jolie évolution. Je pense que beaucoup de jeunes filles peuvent se retrouver en elle. 

La chanson que tu préfères interpréter de Cher Evan Hansen ? 

Words Fail, car c’est un beau challenge théâtral. Mais aussi Sincerely, Me car c’est le moment où on se lâche avec les copains et c’est très feel-good. 

La mise en scène française est totalement inédite, quel secret peux-tu nous dévoiler ? 

Il y en a tellement ! Ce que je peux dire, c’est qu’Olivier Solivérès a sa marque de fabrique, qui sont les pre-shows. Dans Le Cercle des Poètes Disparus, le public était invité à venir danser sur scène, dans Cher Evan Hansen, le public pourra monter sur scène, mais différemment… Je n’en dis pas plus ! 

Fred Astaire ou Gene Kelly ? 

C’est pas bien de faire ça ! Gene Kelly, il a cette facilité dans tous les domaines et j’aime le fait qu’il n’est pas une formation de danseur classique au départ et qu’il a tout de même réussi à imposer son style. Fred Astaire aussi, mais je vais dire Gene Kelly pour son fameux Chantons Sous La Pluie, son Américain à Paris et pour le remercier d’avoir joué dans Les Demoiselles de Rochefort

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