[Review] Longue Vie aux Autruches au Théâtre de la Reine Blanche, une famille au cœur de la tempête

Photo : Éric Delage

By Léna Fontaine

Qui sommes nous si nous ne savons pas vraiment d’où nous venons ? C’est la question que nous pose Céline Le Coustumer dans cette pièce à la fois touchante et sensible.

Être jumeaux, avoir 40 ans et vivre dans une famille qui met la tête dans le sable, pas simple ! Ces quatre dizaines chamboulent chacun.e. Jusqu’où ce déséquilibre va-t-il les mener ? Xavier sculpte, Yvonne danse, ils enquêtent. Côté parents, ça grince. Ça parle d’intuition, de non-dits, de ventres arrondis et troués. Quand on s’aime fort et mal, quand les mots manquent, comment prendre enfin son envol ?

En 1h20, l’autrice nous plonge dans sa propre histoire. On y découvre une famille, d’apparence assez banale, mais qui gère intimement ses doutes et ses tempêtes. La pièce aborde avec subtilité le sujet de la gestation pour autrui, des secrets familiaux, du tabou et de la quête d’identité.

La pièce est construite comme un tourbillon ou un tsunami qui vient balayer, a chaque vague, une page de cette histoire. Sur scène, la succession des saynètes est pertinente et on aurait l’impression d’avoir ouvert la boite de pandore tant les révélations se succèdent.

Des statues en fil de fer viennent ponctuer la mise en scène tout au long de la pièce. A bien y regarder, elles semblent elles aussi porter un message : ce trou béant à la place du ventre. Comme si les questions et la vérité les avaient rongées de l’intérieur ou comme si la question de la non-maternité se posait également pour elles. Deux statues, non-achevées, presque à l’image des jumeaux Xavier et Yvonne. Une mise en scène sobre, qui se construit de scène en scène : le canapé-lit se transforme en écran, le mur en terrain instable où chacun semble chercher son équilibre, la table est bancale, à l’image de cette famille.

Le point fort de la pièce tient dans l’interprétation des comédiens. A quatre sur scène, on ressent toute la vérité dans leur jeu et dans les relations qui les unissent : ça s’engueule, ça se dit les choses, c’est naturel et c’est libérateur. L’utilisation de véritables films de famille, tournés en super 8, est tout aussi intelligente. On y trouve du réalisme et une sorte de tendresse, qui nous plonge dans nos propres souvenirs.

Céline Le Coustumer incarne avec brio Yvonne. Une adulte en crise et en quête de sens qui fonctionne à l’instinct. C’est ce que j’ai particulièrement aimé dans ce personnage : la curiosité qu’elle transmet, la manière de rester fidèle à ses idées et ce bourdonnement constant, comme si elle ne pouvait pas rester en place avant d’être allé au bout de son enquête. Le monologue sur la maternité est aussi un moment fort de la pièce. Un aveu tout en justesse, qui semble presque libérateur.

Comme son miroir, Xavier, le frère, est un personnage entre deux. Florent Cheippe met en lumière avec subtilité la perte de repère face à ce grand chamboulement. Il y a l’envie d’aller de l’avant et celle d’obtenir des réponses et Cheippe excelle à jouer sur cette dualité, qui creuse peu à peu un fossé avec sa jumelle. Quand il rencontre enfin cette “mère” qui ne sera jamais la sienne, on ressent toute la retenue et l’excitation sentie à ce moment là.

“Je suis comme eux, tu es comme l’autre”. 

Le père, joué par Yves Buchin est maladroit, tiraillé entre le poids de ce secret et le devoir de le garder, pour le bien de la famille. Il n’en reste pas moins attachant et met en lumière tout l’amour qu’il peut y avoir entre ces personnages. En tant qu’un des deux piliers de cette famille, on ressent toute l’intention de prendre soin des uns et des autres.

La mère, Katel, presque névrosée et obsédée par l’ordre et constamment à la recherche de la perfection. Un fil qui dépasse, un repas de famille hebdomadaire, l’envie d’une vie de famille normale, lambda… Christine Gagnepain nous propose ici un personnage bouleversant. Quand elle perd pieds, on perd pieds avec elle et elle nous embarque avec pudeur dans cette douleur, cette culpabilité et cette honte qu’il ne faut pas montrer.

Une fois la tempête passée, c’est la joie de se retrouver qui prédomine. Le mouvement occupe une place prépondérante dans la pièce : par la chorégraphie qui rythme le parcours d’Yvonne et par cette danse que partage la famille. Un pas de quatre où se mélange le pardon des uns et la libération des autres. Un moment de légèreté qui fait du bien après la gravité de la situation.

En définitive, Longue Vie Aux Autruches est une désarmante fresque familiale, qui nous invite à questionner nos propres convictions. Sans fioritures, les dialogues ciselés de Céline Le Coustumer font mouche et viennent jouer avec nos sentiments. On passe du rire aux larmes en un clin d’œil et on sort la tête du sable pour applaudir cette création !

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